L’Autorité de la Concurrence Française a rendu deux décisions concernant des qualifications d’ententes dans le secteur du luxe.
Tout d’abord, concernant la société Mariages Frères ayant une activité sur le marché du thé de luxe, les conditions générales de vente (CGV) régissant les relations entre Mariage Frères et ses distributeurs interdisaient à ces derniers de vendre les produits Mariage Frères sur Internet. Mariage Frères se réservait ainsi l’exclusivité de la vente de ses produits à distance et sur Internet.
Si les distributeurs étaient autorisés à indiquer sur leur site qu’ils commercialisaient les produits de la marque dans leur boutique, ils ne pouvaient en revanche les vendre sur Internet et ne pouvaient pas non plus utiliser le logo de la marque. Mariage Frères surveillait le respect de ces règles en demandant aux distributeurs qui avaient proposé ses produits à la vente en ligne de les retirer rapidement de leurs sites.
Conjointement, entre 2013 et 2021, alors que les distributeurs étaient confrontés à cette interdiction, la part des ventes réalisées en ligne par le groupe Mariage Frères a quant à elle plus que triplé. Toutefois, il résulte d’une pratique décisionnelle et d’une jurisprudence constante que cet objectif ne saurait justifier une paralysie absolue du canal de distribution en ligne.
Les clauses des CGV interdisaient également aux distributeurs la revente de produits de thés haut de gamme à d’autres revendeurs. Cette restriction permettait ainsi à Mariage Frères une exclusivité sur la vente en gros et bornait le périmètre commercial de ses distributeurs à la vente aux particuliers.
Cette pratique, qui restreint la clientèle à laquelle un acheteur peut vendre des biens, constitue, une restriction de concurrence par objet.
Mariages Frères a reconnu les faits et a demandé une sanction symbolique à l’Autorité. Cette dernière n’a pas accordé une réponse favorable à la demande et a décidé de sanctionner les pratiques conjointement et solidairement à Mariage Frères International SAS et à Mariage Frères SAS en leur infligeant une sanction de 4 millions d’euros.
Une autre décision a été rendue au mois de décembre 2023 par l’Autorité de la Concurrence et cette fois-ci elle concerne le groupe Rolex.
Active sur le marché français de la distribution des montres de luxe, Rolex, étant donné sa notoriété et sa part de marché, est l’acteur le plus important du marché. Pour commercialiser ses montres, l’entreprise s’appuie exclusivement sur un réseau de revendeurs indépendants agréés. Ainsi, elle revend ses montres aux détaillants horlogers-bijoutiers auxquels elle accorde le droit de distribuer ses produits, dans le cadre d’un contrat de distribution sélective.
En l’espèce, le contrat de distribution sélective régissant les relations entre Rolex et ses distributeurs interdisait la vente des montres de la marque par correspondance et donc par Internet.
Le type de clause instaurant une telle interdiction est considéré par l’Autorité et par la jurisprudence comme étant, restrictive de concurrence.
À titre de justification et sur la même lignée que les justifications apportées par la société Mariages Frères, Rolex avance que l’interdiction des ventes en ligne vise à préserver son image et lui permet de lutter contre la contrefaçon et la vente hors réseau. Cependant, l’Autorité assure que l’interdiction de vente en ligne n’est pas une mesure proportionnée.
Précisons que les principaux concurrents de Rolex, eux-mêmes confrontés à ce type de risques, ont mis en place des solutions (notamment technologiques) permettant de concilier vente en ligne et lutte contre la contrefaçon et la vente hors réseau. Par ailleurs, Rolex a développé, en lien avec l’un de ses distributeurs, un projet permettant d’acheter en ligne des montres d’occasion tout en garantissant l’authenticité. L’interdiction absolue de la vente en ligne de ses produits ne peut, dès lors, se justifier.
L’Autorité considère que ces pratiques sont graves, car elles reviennent à fermer une voie de commercialisation, au détriment des consommateurs et des distributeurs, alors que la distribution en ligne connaît un essor croissant pour les produits de luxe. Compte tenu de leur durée (plus de dix ans) et de leur nature, l’Autorité a prononcé une sanction de 91.600 000 euros. En raison des liens capitalistiques, organisationnels et juridiques qui existent entre Rolex France et les sociétés Rolex Holding SA, Rolex SA et la fondation Hans Wilsdorf, l’Autorité tient ces dernières solidairement responsables du paiement de l’amende.
De surplus, l’Autorité enjoint à Rolex France de communiquer à l’ensemble de ses distributeurs agréés le résumé de la décision. Elle devra également publier sous deux mois et pendant sept jours consécutifs le résumé de cette décision sur son site internet.
Enfin, l’Autorité enjoint à Rolex France de faire publier le résumé de la décision dans l’édition papier et numérique du Figaro ainsi que dans la revue Montres Magazine.