I. Éléments constitutifs de l’abus de majorité

L’abus de majorité intervient lorsque des décisions prises lors des assemblées générales, à l’initiative des actionnaires majoritaires, sont contraires à l’intérêt social de la société et favorisent injustement ces mêmes majoritaires au détriment des actionnaires minoritaires.

Les critères de l’abus de majorité ont été posés par la jurisprudence (Cass. com., 18 avril 1961) et confirmés a de nombreuses reprises (Cass. Com., 21 janvier 1997 n°94-18.883).

Elle se caractérise par :

  • Contradiction avec l’intérêt social : la décision porte atteinte aux intérêts de la société, c’est-à-dire à sa viabilité ou à sa pérennité.
  • Intérêt personnel des majoritaires : la décision est motivée par la volonté des majoritaires de s’avantager au détriment des autres actionnaires.

L’arrêt « Cass. com., 1er juillet 2003 », et plus récemment l’arrêt « Cass. 3e civ., 11 juillet 2024 n° 23-10.013 » précisent que l’abus de majorité peut entraîner la nullité relative de la décision concernée.

 

II. Évolution jurisprudentielle : de la nullité à la confirmation

La jurisprudence a fait évoluer la notion d’abus de majorité en ajoutant de nouvelles précisions, notamment sur le régime des sanctions applicables. En 1997, la cour a élargi les critères en ajoutant la nécessité de démontrer l’intérêt personnel des majoritaires. La Cour de cassation (Cass. Com., 11 janvier 2017, n°14-27.052) a caractérisé l’abus de majorité lorsque la décision à pour seul objectif d’évincer le minoritaire malgré l’apurement du passif de la société dans le cadre d’un coup d’accordéon.

La jurisprudence récente du 11 juillet 2024 marque une nouvelle étape importante, qualifiant la nullité des décisions abusives de « nullité relative ». Cette distinction est importante :

  • Nullité relative : Cette nullité ne peut être invoquée que par les parties que la loi entend protéger, en l’occurrence, les minoritaires et également le dirigeant de la société.
  • Le dirigeant peut désormais, au même titre que les minoritaires, demander l’annulation d’une décision collective pour abus de majorité. Cela pallie le risque d’inaction des minoritaires (Cass. com., 21 janvier 1997).

 

III. Loi Pacte : renforcement de l’intérêt social

La Loi Pacte a élargi la notion d’intérêt social, en intégrant des objectifs sociaux et environnementaux. Ainsi, les décisions des actionnaires doivent non seulement être prises dans l’intérêt financier de la société, mais aussi répondre aux enjeux sociaux à long terme.

Cette loi redéfinit ainsi l’évaluation de l’abus de majorité. Les décisions qui ignorent ces nouvelles préoccupations pourraient, selon la jurisprudence à venir, constituer une violation de l’intérêt social, ouvrant ainsi la voie à de nouveaux litiges pour abus de majorité.

 

IV. Les droits des actionnaires minoritaires : Comment se défendre ?

Les actionnaires minoritaires disposent de plusieurs recours pour contester les décisions abusives des majoritaires.

      a. Action en nullité des décisions abusives

Les minoritaires peuvent solliciter la nullité des décisions collectives jugées abusives. Avec la jurisprudence du 11 juillet 2024, cette nullité est relative, permettant au dirigeant de la société d’agir également en justice pour demander l’annulation.

      b. Confirmation de la décision : un piège pour les minoritaires

Un associé qui souhaite contester une décision pour abus de majorité doit éviter de la confirmer tacitement, comme l’a illustré la Cour de cassation. Un comportement consistant à approuver des décisions ultérieures tenant compte de la décision contestée pourrait être considéré comme une confirmation tacite. Cela ayant pour effet de rendre la demande en nullité irrecevable.

      c. Action du dirigeant

Grâce à la jurisprudence de 2024, le dirigeant social peut agir pour pallier l’inaction des minoritaires et protéger l’intérêt de la société. Cela renforce le rôle des dirigeants dans la préservation de l’équilibre entre actionnaires majoritaires et minoritaires.

 

Conclusion : une vigilance accrue nécessaire

Les récentes évolutions jurisprudentielles et législatives renforcent les moyens de protection des actionnaires minoritaires face à l’abus de majorité. La « nullité relative » introduit une plus grande souplesse dans l’action en justice, et les actionnaires doivent être attentifs à ne pas confirmer tacitement les décisions qu’ils souhaitent contester. Le rôle du dirigeant est également accru dans la protection de l’intérêt social.

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Sources :

– Cass. com., 18 avril 1961, n°175

– Cass. Com., 11 janvier 2017, n°14-27.052

– Cass. com., 1er juillet 2003, n°99-19.328

– Cass. com., 21 janvier 1997, n°94-18.883

– Cass. com., 19 novembre 1991, n°90-16.660

– Cass. 3e civ., 11 juillet 2024 n° 23-10.013 

– Loi Pacte (2019)

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