Lumière sur …. le vol d’entreprise ou la « fraude au Kbis »

Tout comme la carte nationale d’identité pour un individu, le Kbis est la preuve de l’existence juridique d’une entreprise.
Tout comme les personnes physiques, les entreprises en tant que personne morale peuvent aussi se voir dérober ou détourner leur identité. Protéger ce document justificatif officiel est essentiel pour assurer la pérennité de son entreprise et s’éviter une procédure très longue et coûteuse.

De quelle menace parle-t-on ?

La fraude au Kbis consiste à déposer de faux documents auprès du greffe du Tribunal de commerce pour faire modifier « officiellement » la direction ou l’actionnariat de l’entreprise (faux procès-verbal actant un changement de dirigeant, faux acte de cession de titres, faux statuts, etc). Cela permet par exemple au fraudeur, au nom de l’entreprise :
– d’ouvrir de nouveaux comptes bancaires
– de contracter des emprunts bancaires
– de passer des commandes ou obtenir des contrats

D’autres « arnaques » complémentaires peuvent consister à se faire passer pour un organisme public (greffe, impôts, etc) afin de demander des informations sensibles et stratégiques sous couvert d’une mise à jour obligatoire d’information (données bancaires, identifiants, etc).

Les conséquences pour le chef d’entreprise ou l’actionnaire peuvent non seulement être financières, mais également réputationnelles (perte de confiance de la part des clients, fournisseurs, investisseurs, etc).

Que faire pour s’en prémunir ?

1/ FORMER :
Sensibilisez vos collaborateurs à la cybersécurité ainsi qu’aux risques d’usurpation d’identité. Formez-les à la détection des signes de faux et mettez en place des procédures de vérification de l’exactitude des informations fournies par les tiers.

2/ VEILLER ET SURVEILLER :
Consultez et suivez régulièrement les informations et des formalités réalisées pour votre entreprise ou vos partenaires. Mettez en place une surveillance proactive en activant des alertes en cas de modification. Utilisez les plateformes officielles telles que infogreffe.fr et monidenum.fr. En cas de doute, les autorités ont aussi développé des solutions permettant de vérifier l’authenticité d’un Kbis (QR code, code de vérification).

3/ AGIR IMMÉDIATEMENT pour éviter tout risque de mise en faillite de votre entreprise :
N’hésitez pas à déposer plainte pour faux, à demander sans délai l’effacement du document falsifié au greffe du RCS et en cas de refus à saisir le juge commis à la surveillance du RCS ou même à saisir en référé le Président du Tribunal de commerce.
Faites-vous accompagner d’un avocat en droit des sociétés.

Conclusion

En adoptant une approche proactive et en mettant en place des mesures de protection robustes, les entreprises peuvent se prémunir contre ces menaces de vol d’identité et assurer leur pérennité. La vigilance, la formation et l’utilisation des outils de surveillance ou de détection sont essentiels pour sécuriser l’identité de votre entreprise et protéger vos actifs.

LUMIÈRE SUR… la nécessité de respecter le délai minimum d’une année en cas de modification du délai quinquennal de prescription

Un récent arrêt clarifie les possibilités de modification conventionnelle de la durée quinquennale de prescription.

 

Pour rappel :

  • L’article 2224 du Code civil précise que le délai de prescription est de 5 ans pour les actions personnelles et mobilières lorsque le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître des faits lui permettant d’exercer l’action en justice.
  • L’article 2254 du Code civil encadre ce délai, puisqu’il pourra être abrégée ou allongée par accord des parties, sans être réduite à moins d’un an ni étendue à plus de dix ans.

 

La Cour de cassation, par sa décision du 13 mars 2024, distingue le délai de forclusion du délai de prescription en rejetant l’argument avancé par la société SFR, qui soutenait que le délai instauré était un délai de forclusion (I). Elle précise également les contours de la modification conventionnelle du délai de prescription, telle que prévue par l’article 2254 du Code civil (II).

 

  1. Un délai de forclusion ou de prescription ?

L’association ADAPEI-ARIA de Vendée (l’association), ayant pour activité les services aux personnes souffrant de handicap mental, psychique ou physique a fait appel à la société SFR afin que ce dernier assure l’ensemble des prestations téléphoniques et internet de ses établissements.

 

À cet effet, l’association et la société SFR ont conclu un contrat-cadre comprenant des conditions générales de vente le 24 juin 2016. Ces conditions générales comportaient un article 7.4 stipulant que « de convention expresse entre les parties, aucune action judiciaire ou réclamation du client, quelle qu’elle soit, ne pourrait être engagée ou formulée contre la société SFR plus d’un an après la survenance du fait générateur. »

 

Le 13 décembre 2018, l’association invoque des dysfonctionnements perturbant son activité entre 2017 et 2018 et assigne la société SFR en résolution des contrats les liant ainsi qu’à la réparation de son préjudice.

 

La Cour d’appel de Paris répute non-écrit l’article 7.4 du contrat-cadre et prononce la résiliation du contrat aux torts de la société de télécommunications.

 

La société SFR se pourvoit en cassation et se prévaut de l’article 34-2 du Code des postes et des communications électroniques qui instaure un délai d’un an courant à compter de la date d’exigibilité du paiement. Selon elle, la clause insérée ne fait qu’instituer un délai de forclusion.

 

Cependant, la Cour de cassation ne suit pas le raisonnement de la société SFR et précise que « l’article 34-2 du Code des postes et des communications électroniques n’institue pas un délai de forclusion fixant un terme au droit d’agir dont est titulaire le créancier d’une obligation pré-déterminée à l’encontre du débiteur de celle-ci mais a pour objet de réduire conventionnellement le délai de prescription auquel sont soumises les actions en justice engagées par un client à l’encontre de la société SFR. »

 

Nous sommes donc bien dans le cadre d’un délai de prescription soumis aux articles 2224 et 2254 du Code civil.

 

       2. Le respect du délai minimum d’une année de l’article 2254 du Code civil.

 

La Cour de cassation rappelle la possibilité, instituée à l’article 2254 du Code civil, de modifier conventionnellement le délai de prescription de 5 ans.

 

Cependant, la Cour n’a pas été convaincu par le moyen soulevé par la société SFR, selon lequel le délai de l’article 7.4 du contrat conclu entre les parties serait un délai de forclusion.

 

C’est donc l’article 2254 du Code civil qui s’appliquera. La Cour de cassation rappelle ainsi que les parties ont la possibilité de modifier le délai quinquennal de prescription tout en respectant :

  • La durée minimale d’un an à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ;
  • La durée maximale de dix ans, toujours à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

 

La Cour de cassation motive ce point : il faut respecter cette durée minimum d’une année, en la reconnectant au point de départ de droit commun.

 

Or en l’espèce, le point de départ choisi par la société SFR réduit cette durée puisque cette dernière considère comme point de départ la survenance du fait générateur. Il ne suffit donc pas de respecter la durée minimum d’un an, encore faut-il considérer le point de départ du délai de prescription prévu par l’article 2224 du Code civil, comme le jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître des faits lui permettant d’exercer l’action en justice. En modifiant le point de départ du délai de prescription, la société SFR ne respectait pas le délai minimum, réduisant le délai de prescription à moins d’une année.

 

La Cour de cassation s’aligne ainsi sur la décision des juges du fond en qualifiant la clause de réputée non écrite.

 

Il est donc essentiel de porter une attention particulière à la fixation du délai de prescription ainsi qu’à son point de départ. Définir un point de départ différent de celui prévu par le droit commun pourrait réduire le délai de prescription, ce qui rendrait la clause réputée non écrite .